Chronique du confinement par Nina Parage
En avril dernier, nos étudiants avaient eu la chance d’assister à une conférence animée par Mathilde Bourmaud, journaliste et autrice et Mokhtar Guimane, auteur. Le thème ? "Journal du confinement: comment le journaliste peut s'emparer de cet exercice pour (se) raconter tout en continuant à exercer son métier ?”. A l’issue de cette dernière, Mokhtar leur a proposé d’essayer l’exercice de la chronique journalistique sur le confinement. Après avoir reçu plusieurs textes, notre auteur et conférencier a choisi deux textes qui seront publiés dans son recueil “Chroniques d’un confinement”, bientôt disponible en ligne.
Aujourd’hui, nous vous proposons de découvrir le texte de la première gagnante: Nina Parage. Nina a été admise en 4ème année de journalisme et nous rejoindra dès la rentrée 2020. Une belle pépite qu’il nous tarde de retrouver sur le campus. Bravo à elle ! Nous vous laissons découvrir ...
Journal du confinement - Nina Parage
35e jour, 21h03, 27 mètres carrés. Après quelques mois de brouillard, mon confinement devient presque léger. Aujourd’hui, je m’autorise un bilan.
Au début, je voyais cette situation comme une opportunité. Mes premiers pas confinés furent très créatifs. J’ai notamment lancé une émission audio où je souhaitais retranscrire la palette de témoignages qu’offrait mon entourage. Ceux qui sont à l’étranger, ceux qui sont à l’école, ceux qui travaillent à l’hôpital… Un kaléidoscope de voix pour dépeindre une réalité commune à tous. Cela m’a passionnée, mais j’ai vite déchanté. Après deux semaines de fièvre productive, j’ai perdu le goût. Mes journées étaient rythmées par la maladie sans même l’avoir. Je me levais covid, j’allumais la radio covid, je buvais mon café covid, je parlais à mes proches covid, je me couchais covid. J’étais contaminée par la psychose. J’ai étouffé. Je me sentais à l’étroit entre les quatre murs de mon studio et ceux dans ma tête. Alors, depuis, je me préserve. Je me risque au temps suspendu. Aujourd’hui ça va. Je ne souffre pas, je ne jouis pas. Je respire, simplement.
Difficile de s’ancrer dans le réel quand on est seul chez soi. Je vis derrière le plexiglas de ma fenêtre et celui de mes écrans. Mes relations sociales se résument aux visages de mes proches coincés dans mon téléphone, et au « Bonjour ! » étouffé de la caissière au supermarché. Pourtant, ce confinement reste une jolie leçon sur l’amour. Faute de le parcourir, nous refaisons le monde. Dans le secret, nous tirons des plans sur la comète en pensant à la vie d’après. Je réalise la chance que j’ai d’être entourée, même virtuellement. Ensuite, j’apprends une nouvelle facette de l’amour de soi. Dans la vraie vie, on est toujours sollicités, toujours occupés, le temps n’est jamais creux. On évite le silence par peur de trop s’écouter. Aussi, le confinement nous force à nous absenter de la foule et retrouver celle de nos pensées. Je découvre avec bonheur que j’aime ma propre compagnie.
Je sais que j’ai de la chance, et j’en suis profondément reconnaissante. Il y a encore quelques années, l’injonction « Restez chez vous » n’aurait pas eu de sens pour moi. J’avais un toit sur la tête, mais je n’avais pas de « chez moi ». Aussi, j’ai une pensée pour toutes celles et ceux qui se sentent étranger à leur foyer, incarcérés dans une maison qui n’est pas la leur. Courage.
Paradoxalement, le plus dur, c’est de sortir. Je quitte le ventre de mon immeuble seulement pour faire les courses. Dehors, je me souviens. Je me souviens du vent, je me souviens des odeurs, je me souviens du bruit. Toutes ces choses étouffées par le plexiglas. C’est difficile. Alors je marche, tête baissée, mes sacs pleins dans les bras, et je rentre chez moi. Dans mon cocon de silence où la météo ne change jamais. Je suis sereine en oubliant à quel point l’extérieur existe.
Mes occupations sont très régressives. Je fais du coloriage, je joue à la console, je chante. J’ai l’impression d’avoir retrouvé mon enfant intérieur. Elle était cachée derrière le monticule de formalités qui incombent à ma vie d’adulte. Comme il est étrangement doux de se lever en se disant que cette journée n’a pas d’importance. J’essaie d’oublier l’enfer des autres et de me laisser aller à légèreté, et ça marche un peu.
Par conséquent, à un mois de la vie d’avant et peut-être un mois de celle d’après, je me dis que je peux dresser un premier bilan. En 35 jours, j’ai créé, j’ai sombré, et j’ai appris. D’abord noyée dedans, j’ai pris du recul sur l’actualité. Après la claustrophobie, j’ai fini par comprendre qu’être enfermée chez moi était une grande liberté. Je me suis apprivoisée. Alors oui, j’ai hâte de retrouver le vent, les odeurs, les bruits, le soleil, les autres. Mais s’il faut se suspendre encore un peu pour le salut de nos semblables, alors je le ferais sans rechigner.
Nina Parage
